La harpe celtique ancienne
Aussi loin que l’on remonte dans la tradition celtique d’Europe de l’ouest, on trouve la musique, la harpe, et les pouvoirs du son.
La société celtique a toujours protégé la harpe pour sa capacité à harmoniser son environnement. Les harpistes bretons et irlandais étaient réputés pour leur art dans toute l’Europe médiévale. Les Gaëls d’Irlande et d’Écosse préservèrent cette tradition vivante jusqu’au 18ème siècle.
La harpe celtique ancienne (telenn en breton, clarsach en gaélique) nous est parvenue par trois magnifiques instruments du Moyen Age préservés en Irlande et en Ecosse : la Brian Boru Harp (Irlande 14ème siècle), la Lamont Harp et la Queen Mary Harp (Ecosse 15ème siècle), ainsi appelée pour avoir appartenu à la reine Mary Stuart.
La harpe de Quimper (15ème siècle), sculptée sur le portail sud de la cathédrale, présente les mêmes proportions.
Ces harpes, les plus anciennes parvenues jusqu’à nous, sont aussi les plus achevées. Elles sont construites selon le canon de la géométrie sacrée, qui témoigne d’un élan vers l’absolu, et des origines antiques de l’instrument.
Une facture caractéristique
2
Le Pilier
6
Les Ouïes
4
Le Dos
3
La Console
1
La Caisse
5
Les Cordes
La harpe de la tradition ancienne se reconnait instantanément à sa structure caractéristique
-
- Une caisse de résonance creusée dans un bloc de bois, traditionnellement du saule rouge
-
- Un pilier courbe sculpté en forme de saumon à deux têtes, formant une section en T
-
- Une console harmonique courbe, centrée en haut de la caisse
-
- Un dos de bois fermant la caisse à l’arrière
-
- Des cordes de métal, principalement du bronze, fortement tendues, disposées en éventail
-
- Des cavaliers ou fers à cheval de métal à la base des cordes
-
- Des ouies rondes situées à l’avant de la caisse
-
- Des chevilles d’accord sans système d’altération
-
- Des joues de métal protégeant la console au niveau des chevilles
-
- L'œil de la harpe (un cabochon de pierre serti) parachève l’instrument et lui donne son « âme »
-
- Une décoration traditionnelle pyrogravée, véritable livre ouvert sur la spiritualité celtique.
Selon une technique traditionnelle, les pièces de bois de la harpe (caisse, dos, pilier et console) sont immergées dans la tourbe pendant plusieurs mois avant leur assemblage. Le bois se charge ainsi de minéraux, notamment de silice, ce qui lui confère longévité, stabilité, et une résonance cristalline.
La harpe est assemblée par tenons et mortaises, sans utilisation de colle. Les cordes sont montées en tension progressivement. Le son mûrit au cours des deux premières années, pendant lesquelles la caisse, à l’origine plate, se bombe sous la tension des cordes.
La harpe ainsi conçue est dotée d’une longue résonance, riche en harmoniques, notamment l’harmonique de quinte. Sa sonorité est douce, à la profonde et cristalline, rappelant le tintement des cloches.
L'atelier Harpes Herrou reproduit des harpes celtiques historiques dans le respect de ces techniques de fabrication.
Un style de jeu spécifique
A cette facture caractéristique correspond un style de jeu spécifique, destiné à tirer le meilleur parti des qualités acoustiques de l’instrument et à faire ressortir les harmoniques. Cette technique de jeu très élaborée est décrite dans les anciens manuscrits, les témoignages et l’iconographie aussi bien brittoniques (Armorique, Pays de Galles…) que gaéliques (Irlande, Ecosse…) :
1- La harpe est posée du côté gauche (à l’inverse de la harpe moderne), la main gauche jouant les aigus et la main droite les graves ;
2- Elle est jouée avec les ongles (et non avec le gras du doigt)
3- Le « toucher de corde » est léger, précis et sensible, les doigts droits (et non recourbés), autorisant un jeu rapide et dynamique.
4- Une très large palette de techniques de jeu, d’ornementation et d’étouffement des cordes est décrite dans les manuscrits historiques : Edward Bunting (Irlande, 18ème s.), Robert Ap Huw (Pays de Galles, 16ème-17ème s.).
Un système musical savant et polyphonique
La harpe celtique ancienne à son âge d’or, par ses qualités acoustiques, a donné naissance à un système musical complet, savant et polyphonique, basé sur une connaissance profonde des lois naturelles du son :
1- Une gamme naturelle en quintes justes (échelle dite pythagoricienne) au diapason LA 432 Hz
2- L’usage du bourdon, renforcé par les cordes compagnes (deux sols à l’unisson dans les bas-médium)
3- L’utilisation de modes basés sur le cycle des quintes,
4- Des règles de composition, basées sur la bimodalité, l’usage du refrain, et les variations ornementales d’intensité croissante
5- Une tablature originale pour la harpe et une abondante terminologie dans les langues celtiques
Sur la base de ce système musical, les harpistes interprétaient une « grande musique », dont l’origine se perd dans la nuit des temps et qui a laissé sa trace dans tous les pays celtiques. Cette musique savante était interprétée en solo, en ensemble ou encore pour accompagner la poésie syllabique, à la harpe, mais aussi au crwth (lyre à archet). On la retrouve aujourd'hui dans le pibroc'h de la cornemuse écossaise.
Dans une gamme naturelle en quintes justes au diapason LA 432, les notes de la harpe et leurs harmoniques entrent en résonance avec les fréquences naturelles, notamment la fréquence de l'eau qui est à la base du vivant. Une telle musique a un effet harmonisant et peut être utilisée dans un but thérapeutique.
Un vaste répertoire
Les harpistes possédaient un vaste répertoire de musiques légères et savantes adaptées à toutes les occasions de la vie, et composaient sur les bases du système musical de la harpe.
On peut retrouver la musique de la harpe ancienne dans les manuscrits, les collectages, et dans la tradition orale des pays celtiques :
Sources écrites :
-Les manuscrits de harpe : livre de Ap Huw-Penllyn, collectage d’Edward Bunting, musique de Turlough O’Carolan…
-Les collections d’airs irlandais et écossais de cornemuse, de violon, de luth, de musique vocale, du 16ème au 19ème siècle, contiennent tout un répertoire hérité de la harpe
-Les collectages de gwerzioù, sonioù, et cantiques de Bretagne
-Les manuscrits de plain chant celtiques, encore très mal connus, révèlent des règles de composition issues du système musical de la harpe, associées à des règles de poésie celtique ancienne (rimes internes, etc…). On sait que la harpe accompagnait le plain chant des premiers moines celtiques.
-La musique européenne du Moyen Age fut fortement influencée par les musiciens irlandais et bretons. Le vieux fond gaulois est également perceptible dans le chant gallican, antérieur au chant grégorien.
Sources orales :
-La gwerz, complainte de Basse Bretagne apparentée au lai médiéval autrefois accompagné à la harpe: les pièces les plus anciennes révèlent des structures modales caractéristiques de la harpe ancienne, accompagnées généralement de traces de règles de poésie savante (rimes internes assonances, allitérations…).
-Le chant gaélique des îles Hébrides contient encore de nombreuses pièces autrefois jouées à la harpe
-Les mélodies, marches, danses des pays celtiques révèlent souvent des éléments caractéristiques de la musique de harpe.
-Le piobaireachd (prononcer pibroc’h), grande musique de cornemuse écossaise, toujours transmise oralement de maître à élève, présente une grande affinité avec la musique de harpe ancienne : on y retrouve l’usage du bourdon, la prépondérance de la quinte, la bimodalité, les variations ornementales. Harpe et cornemuse avaient des répertoires, des structures musicales et des termes techniques en commun.
Un patrimoine universel
Le système musical de la harpe celtique ancienne, par les vibrations naturelles qu’il met en œuvre, pose les bases d’une relation d’harmonie avec les lois de l’univers, objectif premier de nos Anciens.
L’origine de l’instrument se perd dans la nuit des temps. Des éléments de son système musical, ainsi que les enluminures qui ornent les harpes historiques, se retrouvent dans les civilisations de l’antiquité et dans les traditions du monde.
La harpe ancienne retrouvée, symbole d’harmonie et patrimoine universel, est le cadeau de la tradition celtique au monde de demain.